Nous n’aurons que ce que nous prendrons !

Nous n’aurons que ce que nous prendrons !

Le rapport Capital/Travail est en ce XXI° siècle au même stade qu’avant la guerre 14-18, à savoir un droit du travail et une protection sociale de piètre envergure. Certes, la comparaison peut pour la France paraître brutale, mais ne nous y trompons pas, si « on » laisse faire, le monde du travail retournera à l’âge de pierre sur le plan de la justice sociale ; c’est juste une question de temps.

Pendant que les divers empires fourbissent leurs armes, les sacrifices qu’endure la classe ouvrière à l’« indispensable » compétitivité, à la croissance, au PIB, vont dorénavant s’intensifier ; les conflits guerriers se multipliant coûtent cher. Or, les classes populaires n’ont que faire des intérêts mortifères de cette minorité : PIB et CAC40 ont beau croître, elles n’en sont que plus meurtries.

Le mouvement ouvrier traverse une crise historique. Le patronat et ses laquais gouvernementaux s’échinent à dilapider le peu qu’il reste en terme d’allocation chômage, de retraites, d’hôpitaux, de Sécu et de services publics. 

Ainsi, la 5e République, prétendument démocratique, corsetant en bloc les espaces de liberté, restreignant les droits individuels et collectifs fondamentaux, face à la légitime indignation populaire, institue pour les fascistes à venir un « Etat prêt à porter » !

Les patrons se gavent… les travailleureuses en bavent !

Le président Macron enfonce le clou en affirmant que « nous vivons la fin de l’abondance ». Mais pour une famille de quatre personnes qui doit vivre avec moins d’un salaire médian (1 789 €), l’abondance relevait déjà de l’utopie. Entre l’épidémie du Covid, la guerre russo-ukrainienne, les sempiternelles crises économiques, les arguties qui suivront afin de répondre au monde du travailseront pathétiques : les négociations collectives aboutissent à des « rattrapages » largement inférieurs à l’inflation et les « espoirs » salariaux restent frustrés. En parallèle, ajoutons que le SMIC mute peu à peu en salaire moyen. Il en est de même pour le relèvement du point d’indice de la fonction publique qui ne saurait compenser les années de gel. Idem pour les pensions, minima sociaux et bourses étudiantes ! Fin septembre, l’inflation aurait atteint 5.6 %. A y regarder de plus près, les énergies (carburants, gaz, électricité) ont gonflé leur tarif de 20 %, de 60 % pour le fuel. Quant aux produits de consommation quotidienne, l’alimentation aurait crû de 10%. Nous constatons pourtant des montants bien plus amples. Rappelons encore, que le gaz avait déjà subi de fortes hausses à diverses reprises depuis trois ans, ou encore que les prix des produits de première nécessité avaient aussi déjà pris cette tangente suite à la pandémie.

Rappelons toujours que les taux officiels de l’Insee ne reflètent pas les charges que doivent supporter les ménages pour se loger – surtout s’il ne rentre qu’un salaire – payer les assurances, bref, toutes les dépenses contraintes ou pré-engagées. Or, ces dépenses pèsent différemment sur le budget des ménages, davantage pour les bas revenus que pour les plus aisés, et ça, l’Institut ne le mesure pas !

Les travailleureuses se retrouvent donc dans l’obligation vitale de réagir. On ne compte plus les grèves, les débrayages, les occupations et autres conflits sociaux. Face à une inflation terriblement galopante, toutes les branches d’industries (public/privé) sont impliquées dans des revendications pour un réajustement des salaires à hauteur « inflationnesque ». En effet, crises et guerre ont beau dos, les classes populaires ne sont pas dupes de l’entourloupe pour engraisser davantage les nantis. Si la revendication salariale est l’exigence centrale, dans la mesure notamment où elle concerne toustes, le management, l’insuffisance de personnels, les conditions de travail scandaleuses sont également décriés !

Fidèle à elle-même la presse mainstream ne semble pas émue : silence total pour TotalEnergies et Exon Mobil où les salarié-es des raffineries pétrolières ont poursuivi une grève affectant les stocks de carburants durant près de trois semaines avant que ces médias ne pointent le bout de leur micro, là encore pour dénoncer la « prise en otage des Français ». Bien qu’une majorité de la population dit comprendre la colère de ces salarié-es, les « chiens de garde » prétendent qu’un simple salarié de TotalEnergies gagnerait pas moins de 5 000 € par mois (!) ; par contre, silence sur l’entreprise qui tient la troisième position du CAC40 en terme de fortes capitalisations (1 429 Milliards d’€ ce 29 octobre).

De la difficulté à faire la grève, à son engagement

Les monstres du CAC 40 dégagent des profits records. En 2021, c’est près de 160 Mds d’euros de plus-value que les Picsous ramassèrent. Au bas de la hiérarchie du mode de production : les salarié-es de l’agroalimentaire, des banques et assurances, du BTP, des crèches, de la chimie, de l’éducation, du commerce, de l’énergie, de la métallurgie, de la santé, du transport, ainsi que des branches comme la maintenance industrielle ou informatique, les agents territoriaux non titularisés, mais smicards toujours, ont décidé depuis des mois de se battre pour leur rémunération, leurs conditions de travail.

Un exemple à Mulhouse, où les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM)  manifestaient une nouvelle fois cet été devant la mairie, répondant également à un appel national. Leur leur action fut partiellement couronnée de succès puisque lors d’une nouvelle journée de grève en septembre, avec occupation de la mairie, la Maire Lutz, leur promis un renforcement du personnel avec 15 embauches à venir. Mais que dalle pour le salaire ! Une augmentation de 25% de la valeur du point d’indice et une revalorisation de leurs salaires étaient cependant réclamées.

Un autre exemple d’un secteur où les salarié-es n’ont pas coutume de se mobiliser : celles et ceux des lycées professionnels (LP) qui ont massivement pris part à la grève récente très suivie : 2/3 des personnels en grève le 18 octobre dans cette branche de l’Education, c’est plutôt rare. Les objectifs du gouvernement pour les LP sont clairs : la baisse des enseignements pour les élèves, la concurrence avec l’apprentissage, la casse des statuts des personnels, etc. Le mouvement, à terme, ne peut que rebondir.

Ces deux exemples ne relèvent pas des productions du secteur privé mais de l’action publique, rémunérée par la fiscalité ; or, l’État reste sourd et intransigeant face aux revendications salariales notamment.

Faire grève des jours, des semaines, voire plus, relève nécessairement de la solidarité. Or, si la convergence a bien du mal à s’édifier, la solidarité inter-corporative a bien du mal à dépasser le cadre militant. Première faiblesse. La seconde pointe la solvabilité des ménages : jadis, lorsqu’une grève dure se tenait, les grévistes et leurs familles trouvaient encore de quoi « becqueter », grâce en particulier à des soutiens actifs. En revanche, aujourd’hui, au loyer ou au crédit maison, il faut ajouter le ou les voitures, les diverses énergies de base, la box, le smartphone, le sport, la culture, la santé (tous les soins ne sont pas remboursés 100 %), les mutuelles complémentaires santé et retraite, les vacances. Cette liste non exhaustive, entre charges contraintes et pouvoir d’achat, relève donc davantage de l’«obligation » de devoir acquérir un ordinateur, une assurance, se soigner, alors qu’un logement est primordial, mais non gratuit, tout comme les déplacements, la majorité des travailleureuses n’habitent pas à proximité de leur emploi.

Cette même liste explique en partie la difficulté à faire grève vu que des « sacrifices » sont indispensables pour la mener à peu près sereinement ! Et la société de consommation a très bien conditionné, jusqu’à l’addiction, les classes populaires. Quant au « sacrifice », il se cantonne aujourd’hui à la famille et à la communauté spécifique (religieuse, idéologique, culturelle…)

Ainsi dans l’imbroglio entre les contraintes et le fétichisme à consommer, si tous les secteurs d’activité sont à un moment donné en lutte, leur champ de médiation et de solidarité reste limité en nombre de participant-es (hormis pour les raffineries, la Sncf…) Si on ajoute à cela la montée des idées fascisantes au sein de l’ensemble des classes sociales, de facto, faire grève en 2022 relève de l’intrépidité et d’une certaine noblesse.

Les manifestations nationales de septembre et octobre à l’appel de la CGT, CNT, FO, FSU, Solidaires et les divers groupes d’étudiant-es, ne relèvent pas encore d’un mouvement de masse. Dans les semaines à venir, face à l’ampleur de la crise, cela pourrait venir.

Face à la réaction 

Que le ministre Darmanin et ses acolytes du Parlement insultent les travailleurs et travailleuses en lutte peut paraître de « bonne guerre », mais qui perd de sa superbe tant le déséquilibre médiatique orchestré par le PPA (parti de la presse et de l’argent) est tellement caricatural qu’il en devient inaudible. Dans le Parisien du 12/10, Nicolas Charbonneau, donne le ton : « Jusqu’au-boutisme ». « Une poignée d’irréductibles à la tête de bastions, qui n’ont même pas regardé les propositions qu’on leur présentait », ou « le gouvernement [qui] a finalement tapé du poing sur la table et décidé de réquisitionner une partie des grévistes ». « Il était temps, notaient ce mardi soir des observateurs, qui s’inquiétaient de voir un conflit social assez banal mettre un pays tout entier à l’arrêt ». Après avoir joué la partition des grévistes-qui-sont-tous-des-privilégiés, le dirlo de la rédaction conclut : « Ces grévistes pénalisent d’abord ceux qui n’ont pas le choix. Des artisans, des salariés de PME, des commerçants, des entrepreneurs… Tous ces Français qui n’ont ni transports en commun ni pistes cyclables (…) pour aller travailler. C’est à tous ceux-là que les grévistes font un bras d’honneur (…) ».

Lors de la grève tenue par des travailleureuses de Lyon-Perrache depuis le 12 octobre pour notamment dénoncer la volonté de la collectivité lyonnaise de changer de prestataire fin décembre, deux piquets de grève ont eu la désagréable surprise de voir un groupe de jeunes hommes faire irruption sur leurs piquets de grève pour voler la banderole et les drapeaux de la CNT-Solidarité ouvrière syndicat du nettoyage. S’il n’y eu aucune violence, pour le syndicat, le caractère raciste de cette agression est évident : « La quasi totalité des agents sont d’origine étrangère ». Les agressions verbales et physiques envers les migrant-es et les militant-es syndicaux, libertaires, écologistes sont récurrents à Lyon, elles défrayent habituellement la chronique locale.

Laurent Berger de la CFDT (à propos des raffineries à l’arrêt) a quant à lui dénoncé une « grève préventive » et « inutile »… Il préférerait que les salarié-es restent sagement à leur poste de travail et attendent gentiment que, lui, négocie pour lui et eux quelques miettes alors que la caisse enregistreuse explose !

Si ces attaques n’altèrent pas le moral des travailleureuses mobilisé-es, elle conservent une indéniable portée pour celles et ceux qui hésitent encore à « entrer dans la danse ».

De l’argent ? Il y en a dans les caisses du patronat !

Ce serait pourtant le moment de profiter au maximum d’un patronat, pour le coup, moins revêche que Macron et sa bande. Face à une colère qui ne faiblit pas, le patronat craignant que cette colère ne mute en révolte généralisée, aurait-il enjoint les directions de TotalEnergies, d’EDF, de Keolis (filiale Sncf), Photonis (systèmes de vision nocturne), de Lactalis à Lons-Le-Saunier ou encore des Sucreries Tereos, à promettre des augmentations salariales qui varient de 2,5 % à 7,7 % selon l’entreprise ? Ce qui paraît de plus en plus certain, c’est que quelques jours de débrayage suffisent, notamment dans les PME-PMI pour améliorer les salaires. Le plus récalcitrant demeure l’État ! Or ce dernier, selon la CGT qui avait commandé à l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales) une enquête révélait qu’en 2019 (avant le covid) les entreprises bénéficiaient de 159 Mds € d’aides publiques. Montant qui ne prend pas en compte les mesures d’urgence mises en place pendant la crise sanitaire (environ 80 Mds), ni celles liées à la crise énergétique actuelle, puisqu’elles ne sont pas appelées à durer. C’est la première dépense de l’État, elle représente plus de 30 % de son budget, 5 fois la dette des hôpitaux, 2 fois le budget de l’Éducation nationale, 6 fois celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche, etc. De plus, cette montagne de fric ne tient évidemment pas compte de la fraude fiscale et sociale.

Par ailleurs, le gouvernement Borne prévoit pour 2023 (incluant les contre-réformes actuelles relatives aux retraites et aux indemnisations chômage notamment) le 2° budget le plus austère depuis vingt ans, affirme le Collectif Nos services publics.

L’argent ne manque pas, et plutôt que de ruisseler, le capital doit couler à flot !

Il est essentiel de rappeler que la plus grande force des travailleureuses réside dans les Assemblées Générales souveraines (décisionnaires) ; elles renforcent la solidarité de classe et permettent de contrôler la lutte, de décider des formes qu’elle doit prendre, de contrôler de bout en bout celles et ceux qui vont négocier en leur nom. La lutte des classe n’a jamais disparu !

Nous n’aurons que ce que nous prendrons !

Article paru dans le n° 87 de la revue Pour l’Emancipation Sociale

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Jano Celle

1 commentaire pour l’instant

Schnaps Publié le10:57 am - novembre 22, 2022

Bravo pour cet article qui met les yeux en face des trous et qui fait le point sur la situation actuelle : inflation, luttes nombreuses, serrage de vis du medef et du gouvernement, et profits du cac40.

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