Quel avenir démographique ?

Quel avenir démographique ?

Huit milliards de personnes vivent (ou survivent) sur la Terre aujourd’hui, affirment les Nations-Unies. Un début d’encombrement planétaire par un peuplement s’intensifiant, telle semble être l’instinctive destinée de l’humanité promue à un avenir qui s’annonce sombre vu la situation économico/socialo/environnementale. Cet inquiétant présent est dû à deux facteurs qui pour l’heure paraissent inéluctables : 8 Mds, en premier lieu, c’est autant de bouches à nourrir, à vêtir, à soigner, à chauffer, à cultiver ! Or l’actualité du monde affiche qu’un bon tiers de la population « crève » de misère, pendant qu’un cinquième d’une autre minorité l’exploite et la tourmente. En second lieu, c’est cette fraction, qui dirige, qui compte, qui spécule et qui tue, autant les humains que la nature. Utiliser les ressources naturelles pour la satisfaction de tout un chacun est le b-a-ba de l’existence, mais se pose la question de quel anthropocène, pour quelles satisfactions de quels besoins et à combien ?

Evoquer la question démographique est toujours délicat, d’autant plus qu’avec son accroissement, elle est confrontée à des tensions sociales qui vont proportionnellement s’amplifier : conflits notamment dans les « bidonvilles » et autres banlieues dus à la pauvreté, au chômage, aux délinquances, au surpeuplement entraînant la ghettoïsation et divers types de ségrégations mais aussi des migrations d’origine politiques, guerrières ou climatiques, dans l’accès aux énergies et aux matières premières, l’alimentation et aux guerres de l’eau…

Or, la question démographique, déjà appréhendée notamment par le PCC (parti communiste chinois) à partir de 1949 (1) mais aussi dans les pays occidentaux avec le planning familial en France et le recours à des méthodes de contraception de type Ogino ou stérilet, va commencer à se poser très sérieusement pour l’ensemble des membres de l’ONU. L’organisation prévoit près de 10 Mds d’habitant-es pour 2050. Nous étions en tout et pour tout, 3,5 Mds en 1950.

Globalement

D’après les Nations-Unies, bien que l’évolution démographique régresse, elle demeure importante : elle flirtait avec les 2,3 enfants par femme en 2021, alors que la moyenne était de 5 en 1950, et de 3,2 en 1990. Selon l’institution, elle va continuer à baisser pour atteindre le fameux 2,1 enfants par mère en 2050. « Pour être plus précis, dans 28 ans – selon l’Institut national d’études démographiques (Ined) – la fertilité mondiale est supposée se situer entre 1,88 et 2,42 naissances par femme – avec une probabilité de 95 %. Que la population mondiale décélère ne se traduit pas par un arrêt de la croissance, celle-ci compte encore un grand nombre d’adultes en âge d’avoir des enfants. Et même si nous étions à 1,6 enfant par personne comme en Chine ou en Europe, la croissance démographique ne s’arrêterait pas pour autant. » Se multiplier doucement, c’est se multiplier quand même.

En 2021, 134 millions de bébés ont vu le jour dans le monde. Avec un taux annuel de progression de 1,12 %, l’arche humain gonfle de 86 à 90 M. d’habitant-es. L’ONU anticipe une augmentation retenue de la population jusqu’en 2080, où elle culminerait aux alentour des 10,4 Mds. Elle devrait donc cesser sa transition démographique (2). Mais toutes les études restent sujettes à caution bien que l’ONU les révise tous les 2 ans et d’autres études (comme Belinda et Bill Gates) avancent des chiffres plus modestes d’ici 30 ou 40 ans.

Les disparités

Nous avons résumé une moyenne générale, or, il n’y a aucune homogénéité en terme de procréation du « troupeau humain » ; on constate de fortes variations d’un Etat ou d’un continent à un autre. Depuis dix ans, les habitant-es de 27 Etats ou territoires ont baissé d’au moins 1 %, et celles de 61 autres devraient aussi ralentir d’ici 2050. Alors que la fécondité dépasse largement le seuil de 2,1 bébés par femme en Afrique subsaharienne (4,6), en Océanie (excepté Australie et Nouvelle-Zélande mises) (3,4), en Afrique du Nord et Asie de l’Ouest (2,9) et en Asie centrale et du Sud (2,4). Inversement, en Russie, la population baisse ! Et le Japon, au rythme actuel, ne devrait plus avoir d’habitant-es du tout en l’an 3000. La Chine vieillit et devrait perdre 31,4 M. d’individus, soit 2,2 % de sa population, d’ici 2050.

Mais, chaque continent, chaque Etat et chaque contrée comporte ses propres disparités numéraires, démographiques, culturelles : des pays ont bien réussi leur transition démographique comme l’Algérie ou le Rwanda. En revanche, la République démocratique du Congo, le Nigeria, la Somalie conservent 6,3, 7,6 et 6,8 gamins par femme selon l’ONU. Mais d’autres populations connaîtront dans les décennies à venir une progression importante. L’organisation note que le continent a bien entamé sa transition démographique, mais plus modestement qu’elle ne l’avait projeté.

Sujet délicat ?

Les cultures ancestrales sont conservatrices (pléonasme), elles freinent des quatre fers contre la transition démographique : lois, réglementations, préceptes religieux, coutumes qu’elles soient traditionnelles, morales et/ou légales, paraissent gravées dans un marbre intemporel ; contraception et IVG notamment sont vertement proscrites, réputées délictuelles et donc pénales. En particulier dans des pays de confession musulmanne ou chrétienne traditionaliste (Opus-Dei, évangélistes) où même une enfant violée doit aller au terme de sa grossesse !

En premier lieu le niveau culturel : à quelques exceptions près, la grande majorité des familles nombreuses sont issues de milieu modeste, voire très pauvre ; avoir six, sept, voire davantage de marmots est coutumier, quelle que soit d’ailleurs la latitude et même s’il y a une distinction entre une famille nombreuse de 5 enfants en Europe, et par exemple en Amérique latine où une famille pourra en compter 7 ou 8. A contrario, les familles issues des classes moyennes et supérieures, donc bénéficiaires d’une instruction et d’une culture générale conséquentes, limitent considérablement leur nombre de leur progéniture avec une variation de 1 à 3 enfants. Mais comme déjà précisé, il n’y a pas homogénéité en la matière.

Les religions. Il n’en est aucune qui conseillera à quelque fidèle de limiter l’enfantement au sein de sa famille (sauf exception, ci-dessous), même pour raison de santé, de pauvreté, de violence. Toutes – depuis des siècles – promeuvent la famille nombreuse qui serait un catalyseur de prospérité pour le clan familial. Mais pour l’État – sous le boisseau du lobby de la foi – de nouvelles naissances sont autant de nouveaux-elles croyant-es, citoyen-nes, utiles au productivisme/consumérisme, a la fiscalité, au soutien du 3°âge, voire aux enjeux de puissance militaire par la conscription. Ainsi, quelle que soit la confession, monothéiste ou philosophique (Boudha, hindouisme), l’ensemble des représentants déistes condamnent la contraception et l’interruption volontaire de grossesse, affirmant que Dieu seuldécide du sort d’une femme qui porte un aspect de l’obscurantisme. Mais que seraient les religions sans le patriarcat ?!

Le nationalisme. « l’avenir de la nation (…) se confond avec une mission sacrée, inscrite depuis ses origines dans un héritage à défendre, un corps de valeur… L’explosion des nationalismes a donc permis l’extension de véritables religions séculières, dans laquelle la nation sert de foyer de transmutation de la symbolique religieuse. » écrit Jean Plumyene (1932-1986) dans Les nations romantiques, 1979. Il sert notamment de justification aux épurations ethniques. De facto, il entretient le patriarcat, le productivisme, la soldatesque, la ou les religion(s). Du coup, hormis quelques rares Etats comme la Chine ou l’Algérie, le nationalisme exaltant le patriotisme, félicitant les grandes familles promeut la procréation à tout crin.

De diverses opportunités

Cependant, quelques Etats ont à un moment donné opéré une « planification » vers la transition afin de limiter leur démographie , notamment l’Afrique du sud, le Rwanda, la Tunisie. L’Iran mérite une attention notable car la révolution islamique (le chiisme ne tient pas totalement les mêmes préceptes religieux que le sunnisme) tente avec succès de limiter le nombre de naissances. De 6,4 enfants en 1986, la fécondité est tombée à 2,3 en 2003, soit une baisse de 70 % en l’espace de 17 ans. C’est l’une des transitions démographiques les plus rapides de l’Histoire. « Un cas particulièrement contre-intuitif, il s’est déroulé dans un pays musulman où le rôle et la place des femmes sont restreints », dit Marie Ladier Fouladi, du CNRS. La chercheuse mentionne les 17 mois de Journées révolutionnaires en 1979. Autorisées à prendre part à cette révolution, éduquées, ces femmes ont désormais choisi leur mari. « Les espaces de rencontres se sont multipliés et les écarts d’âge ont diminué. Ces générations émancipées ont des projets de promotion sociale pour leurs futurs enfants. L’idée d’avoir sept enfants est devenue inconcevable ».

La France, au début des années 1970, aurait ainsi mis en œuvre une politique d’avortement et de stérilisation des femmes réunionnaises, raconte la politologue féministe Françoise Vergès  (Le ventre des femmes, Albin Michel 2017). Elle y dénonce le cliché de la « sexualité tropicale débridée et infantile qu’il fallait discipliner et gérer ».

Les Ouïghours, une communauté musulmane du Xinjiang, sont aujourd’hui victimes d’une campagne de stérilisation massive des femmes, orchestrée par la Chine. Au XXᵉ siècle, des lois permettant la stérilisation des « inaptes », aux États-Unis ou en Allemagne par exemple, avaient vu le jour.

Par ailleurs, le Fonds des Nations unies pour la population, précise dans son rapport annuel publié en février dernier, que 121 millions de grossesses non planifiées sont enregistrées tous les ans et que 60 % d’entre elles aboutissent à un avortement. Ou qu’en Tunisie, il y a entre 13 000 et 14 000 avortements dans le secteur public. Ceci ne représente que 40% du chiffre total des IVG, le reste, soit les 60% se font dans le secteur privé (avortements clandestins).

Aujourd’hui, alors que la société dans son entièreté redécouvre une crise civilisationnelle marquée par de pandémies, de guerres, de misère et d’un dérèglement climatique significatif, la question démographique refait surface dans les médias, d’une acuité particulière sur la problématique environnementale. Grave question pour les classes dirigeantes : « comment se débarrasser de milliards d’individus qui ne servent à plus rien, sinon à nous culpabiliser pour nos mirobolants bénéfices ? ». 

L’empreinte en GES

Alors que l’Afrique ne produit que 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, elle a la particularité d’être le continent le plus jeune : 60 % de sa population est âgée de moins de 24 ans en 2020 (près de 800 000 millions d’habitant-es) selon l’ONU. De l’autre coté de l’Atlantique, à l’université de l’Oregon, on a chiffré l’émission de GES, au cours de sa vie, d’un baby états-unien à 1 644 tonnes (T.) de Co2 en moyenne, soit 5 fois plus qu’un bambin chinois et 91 fois plus qu’un nourrisson du Bangladesh. Si l’on suit cette voie, faire un enfant en Occident a une conséquence écologique quasi infinie : des parents écolos auront beau montrer l’exemple en terme de respect de l’environnement, en mangeant bio, local, végétarien, en se chauffant au bois, en triant ses déchets, en excluant l’avion ou en allant bosser à bicyclette, leur progéniture altère leur bilan GES à l’infini.

Plus on est vieux, plus on consomme. Un individu âgé marque sont empreinte écologique bien davantage qu’un jouvenceau. Des chercheurs britanniques, chinois, japonais et norvégiens ont démontré que de tous les groupes d’âge dans 32 pays, la part des vieux et vieilles représentait 32,7 % de GES en moyenne en 2015 contre 25,2 % en 2005. Les moins de 30 ans représentaient eux 8 % des émissions de ces Etats en 2015 et 9 % en 2005. Cette part élevée des seniors s’explique, selon l’étude, par les habitudes de consommation et de dépenses de cette génération qui a connu le plein emploi et l’essor de la consommation de masse. On compte ainsi environ 21 T. de Co2 par an/par personne aux États-Unis ou en Australie, 19 T. au Luxembourg ou encore 12 en Norvège.

47,6 % ! C’est la part des émissions de GES mondiales émises par les 10 % les plus riches de la planète en 2019. Cette année-là, 50 Mds de T. de Co2 ont été émises dans le monde dont 24 Mds par cette catégorie de la population. Les 1 % les plus fortunés ont produit à eux seuls 8,5 Mds de T. soit en moyenne 110 T. de GES par membre de cette « corporation ».

Oxfam et Greenpeace ont calculé l’empreinte carbone de 63 milliardaires français. Ces ONG ont voulu se concentrer sur les émissions de GES issues des actifs financiers de ces très riches. Ainsi, le patrimoine financier des milliardaires français émet 152 millions T. équivalent Co2 par an. C’est plus que 50% des « Français-es ». C’est plus que les émissions du Danemark, de la Finlande et de la Suède réunies.

Face à la Bombe P

En 1968, deux professeurs de Stanford (USA), Paul et Anne Ehrich s’inquiètent d’une surpopulation pour les années suivantes : « La Bombe P » (The Population Bomb). Mais, très vite, l’exagération sera démontrée. Le ton alarmiste sous-estimait les effets de la Révolution verte  (3) d’une part, et d’une baisse de la natalité en Occident, produisant des excédents alimentaires d’autre part. On notera néanmoins une sensibilisation du sujet avec la question environnementale et la réflexion sur l’avenir de l’homo sapiens.

D’une toute autre tonalité : « Il faut faire une grève des ventres et cesser le lapinisme phallocratique ! » précisait Françoise d’Eaubonne en son temps, dans le Féminisme ou la mort.

Réduire, ou stagner l’évolution du bipède, des propositions fusent. En effet, il importe de se méfier des applications « régulation », « planification », ou des tons alarmistes detechnoscientistes, de (néo)malthusiens en mal d’épuration ; les dangers d’imposition de politiques réductionnistes des populations sont réels au regard des comportements criminels de la bourgeoisie et des classes dirigeantes, qui songent à avoir davantage de moyens pour se prémunir face à une « horde de pauvres » et surtout jamais prêts à se sacrifier !

Or, les humains se retrouvent bien face à un dilemme : réduire l’impact humain au vu des GES, de la biodiversité agressée, de l’extractivisme croissant, du partage de l’eau. Si se nourrir reste le facteur primordial pour le devenir de l’humanité, la question écologique (donc la biodiversité des espèces vivantes) est aussi devenue un facteur essentiel. A cela s’ajoute une obligation élémentaire : les droits sociaux (droit du travail, protection sociale, formation, éducation).

Et là, on constate que le féminisme semble dépassé par ses conquêtes. On peut aussi considérer que le féminisme – au contraire – complète sa praxis pour être la création d’un nouvel humanisme dans lequel l’éco-féminisme s’occuperait des problèmes de démographie, de pollution, de destruction des richesses naturelles, et donc de droits sociaux, permettrait à chacune d’accéder à la contraception et à l’avortement, ainsi qu’au respect du choix individuel d’avoir peu ou pas d’enfant.

Pourtant, faut-il attendre que le féminisme du XXI° siècle ait toutes ces capacités pour agir globalement ? Le genre masculin, bien qu’il ait la primauté pour l’exploitation de la planète, ne représente pas les 100 % de ses membres ; les hommes sont également un certain nombre pour suivre le chemin de l’éco-humanité (complétant l’éco-féminisme) mais demeurent, malheureusement encore, tout comme leurs compagnes, en minorité.


(1) En 1949, la Chine compte approximativement 500 millions d’individus. Inquiété par une forte croissance de la population, le PCC impose aux ménages de donner naissance une unique fois ! Ce qui n’empêchera pas de nombreuses familles, en particulier dans les campagnes, de ne pas respecter cette loi. Beaucoup d’enfants seront ainsi cachés. En 2016, le PCC autorise les familles à avoir  trois enfants, dans un Etat qui avoisine (quand même) le milliard et demi.

(2) La transition démographique est le processus historique par lequel le passage d’un régime traditionnel où la fécondité et la mortalité sont élevées et s’équilibrent à peu près, à un régime où la natalité et la mortalité sont faibles et s’équilibrent également.

(3) La Révolution verte est une politique de transformation des agricultures des « pays en développement » ou des « pays les moins avancés, fondée principalement sur l’intensification et le productivisme (ce qui n’est pas la panacée) et l’utilisation de variétés de céréales à hauts potentiels de rendement et le recours aux engrais.

Article paru dans le n° 85 de la revue Pour l’Emancipation Sociale.

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Jano Celle

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