Médicaments : pénurie … vous avez dit pénurie ?

Médicaments : pénurie … vous avez dit pénurie ?

C’est évidemment la suite logique d’une externalisation de tout, ou presque, de nos produits de première nécessité, pour des raisons de « rentabilité » et de « concurrence libre et non faussée » !

Lorsqu’en 2009, le démantèlement systématique de la dernière usine de produits chimiques

– notamment pharmaceutiques – fut orchestrée par le gouvernement Sarkozy-Fillon, tout le monde, ou presque, applaudissait la décision pour des raisons dites, écologiques.

Il est vrai que la saleté ou les déchets, stockés chez les autres, sont moins gênants que chez soi et la France, grand pays libéral et démocratique, à vocation écologique, comme chacun sait, n’est pas à une contradiction ou à un compromis foireux prêt, du moment que ça remplit le tiroir caisse des multi-nationales et les comptes divers et variés des paradis fiscaux, pour le plus grand bonheur de nos industriels et multi-milliardaires.

C’est ainsi que la dernière usine de produits chimiques, officiant à Mulhouse, sera démantelée, comme beaucoup de nos fleurons industriels. Son origine remonte quand même à la blanchisserie HOFER, créée en 1780, sur le ban de la commune de « Niedermorschweiler » là où se trouve aujourd’hui le « Brico-Center Leroy-Merlin » …

C’est dans « l’Alsace » du 18 décembre 2007 que la « fin de l’histoire » est annoncée par Adrien Dentz, illustrée par quelques clichés de monconfrère Hervé Kielwasser. Une petite note en sous-titres, nous fait savoir que le site, victime de la mondialisation, vient de cesser son activité. Cet arrêt est officiellement programmé au 31 décembre 2007, mais malgré le démantèlement bien entamé, l’usine fonctionnera encore jusqu’à la fin de 2009.

Pourtant, rien ne prédisait à ce funeste avenir, au contraire. Mais, en décembre 2007, l’atelier de synthèse organique fine, fraîchement crée en2000, arrête sa production après pourtant seulement sept années de bons et loyaux services.

Selon Louis Séris directeur du site à l’époque, tout a été essayé pour maintenir l’activité du site, mais aucun nouveau produit n’a été trouvé pour compenser le non -renouvellement des deux derniers contrats.

C’est l’époque où la division « Organics » du groupe français de spécialités chimiques, se recentre sur des produits intermédiaires, notamment pharmaceutiques, cosmétiques et agro-chimie, en espérant y assurer sa survie

Le prétexte fallacieux de « sécurité » pour faire admettre la fermeture du site plus facilement par la population n’est en tous cas pas recevable.

Rhodia sur ce plan est irréprochable. Décorée du « Trophée Sécurité » en 2007 « nous avons [toujours] démontré notre capacité à gérer le risque industriel », dixit Jean-Louis Seris.

Ce qui est d’ailleurs tout à fait vrai, puisque non seulement, au sein de l’usine, un corps de pompiers équipé pour toute circonstance est en place, prêt à intervenir au moindre problème et la population du quartier, riverains et habitants directs, sont conviés régulièrement par les responsables du site à une visite « portes ouvertes » afin d’être tenu au courant de ce qui se passe « sous leurs fenêtres ».

En théorie, tout est « raccord » et nous vivons dans le meilleur des mondes apparemment. D’ailleurs Stephane Champlong, responsable de la communication de « Rhodia Organics », signera en mars 2007 un accord de gestion anticipée des métiers, de l’emploi et des compétences, en d’autres termes, un « plan social », avec la CGT et la CFDT, qu’il qualifie sans complexe « d’exemplaire » …

Il est prévu dans ce « plan » que 83 salariés sur un effectif restant de 135 personnes (en janvier 2007) seront reclassés sur le site de Chalampé, où Rhodia en replace 78. Une petite vingtaine peut faire valoir leur départ en pré-retraite … En résumé, au total 104 salariés de Mulhouse sont partis depuis 2005 à Chalampé, où ils remplacent les pré-retraités et en janvier 2008, seuls 31 personnes restent jusqu’au démontage complet de l’usine de Mulhouse, afin d’assurer la mise en sécurité des lieux.

L’auto-satisfaction de la direction, rapport à la gestion dite sociale du dossier, n’est pas vraiment perçue de la même manière par les syndicats ou le personnel … » [qui] a fait des efforts pour des productions au final, externalisées » dixit Richard Hoffner (coordinateur dusyndicat CFDT) et qui rajoute « [que] beaucoup ont le blues. Sans la proximité du site de Chalampé, la gestion sociale aurait été beaucoup plus douloureuse ».

Aujourd’hui, il reste un « trou » dans le paysage urbain, un vide de 17ha, aux portes de Mulhouse depuis plus de dix ans !

Comment en est-on arrivé là ?

Privatisation, regroupements, découpages, ventes … Tant que Rhône-Poulenc (groupe Rhodia) est nationalisé, les groupes divers comme Hoechst, Marion-Roussel, Roussel-UCLAF, Sanofi-Aventis … n’ont pas les mains libres. Avec la privatisation à partir de 1999 etla fusion du groupe Rhône-Poulenc, Hoechst-Marion-Roussel devient le quatrième groupe pharmaceutique mondial.

La branche agro-chimie, devenue Aventis-Crop Science est vendue au groupe Bayer en 2002 et la branche chimie, devient Rhodia et en 2004, Sanofi-Synthelabo absorbe Aventis qui devient Sanofi-Aventis

Avant sa fusion et division en 1999, les activités de Rhône-Poulenc se répartissent en quatre grands secteurs :

  • pharmacie,
  • santé animale,
  • phytopharmacie (insecticides, fongicides …)
  • chimie (fibres polymères)

Rhône-Poulenc est en outre à l’origine de la découverte et du lancement du « fipronil », une matière active, aujourd’hui controversée comme le « Regent TS ».

Jean-René Fourtou, un polytechnicien et P.D.G. du groupe en 1986, est l’artisan de la fusion avec l’allemand Hoechst, après avoir réorienté Rhône-Poulenc vers la pharmacie, au détriment de la branche chimie.

En 2006, François Loos, directeur de Rhône-Poulenc (1986-1987) déclare à la presse [que]

  • la chimie n’a pas d’avenir en Alsace ». A ce moment, il est difficile d’imaginer vraiment à quel point ces quelques mots, lancés « au hasard » ne sont rien d’autre qu’une décision prise dans les arrière-cuisines des conseils d’administration et qui s’appliqueront à peine un an plus tard !

En début d’année 2007, le couperet tombe. La partie nécessaire et la plus rentable (pharmaceutique) est cédée au groupe indien Shasun, qui officie dans la région de Tamil Nadu, à Chennai, dans la région de Bhôpal de funeste mémoire.

La fin de l’histoire étant : les produits pharmaceutiques, dans l’ensemble ne sont quasiment plus fabriqués en Europe. Il y a en Irlande un centre de tri, qui distribue les produits fabriqués en Chine et ailleurs, mais la plupart des cachets divers et variés, comme le paracétamol, ne sont plus « européens » …

Le COVID où nous avions déjà pu nous rendre compte à quel point nous étions dépendants de l’étranger, n’a apparemment pas encore fait changer les mentalités de nos gouvernants.

Texte & photos : Pierre Dolivet – bibliographie : ICMD-Rhodia 1892-2009 – ISBN 9 782953 076448

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