Hommage a Ernesto Cardenal

Hommage a Ernesto Cardenal

Article paru dans le mensuel Pour l’Emancipation Sociale n°61 – mars 2020.

Il n’est pas de coutume pour moi de rendre un hommage à un homme d’église, se serait même l’inverse, néanmoins, il me paraît essentiel de rendre hommage à un homme d’église du Nicaragua. Ernesto Cardenal est mort à Managua ce 1er mars. Avec lui s’éteint une figure littéraire, artistique, politique, religieuse, une voix qui portait bien au-delà du Nicaragua.

Enfant d’une famille aisée de Granada, Ernesto Cardenal étudie la littérature à Managua puis à Mexico de 1942 à 1946, et voyage ensuite pour ses études en Italie, en Espagne, aux États-Unis et en Suisse de 1947 à 1950. En 1950, après son retour au Nicaragua, il participe à la « révolution d’avril » contre le dictateur Anastasio Somoza García, qui échoue.

Cardenal quitte le pays et entre chez les trappistes, à l’abbaye de Gethsémani, aux États-Unis, où il fait son noviciat.

Ordonné prêtre catholique en 1965, il s’installe pour un temps sur les îles Solentiname (sur le lac Nicaragua), où il fonde une communauté monastique utopique. Il y compose un livre intitulé El Evangelio de Solentiname dont son sacerdoce est proche de ce que nous nommons en Europe la théologie de la libération. Cette communauté sera détruite lors du soulèvement populaire de 1977 par l’armée somoziste. Dès lors, Ernesto prend la route de l’exil et s’engage avec les sandinistes contre la dictature d’Anastasio Somoza, il adhèrera au FSLN (Front sandiniste de libération nationale).

En 1979, après la chute de dictateur, Ernesto est nommé ministre de la Culture du gouvernement révolutionnaire, dont son frère Fernando, également prêtre catholique (jésuite), est ministre de l’Éducation. Figure emblématique de la révolution, Ernesto Cardenal occupera ce poste jusqu’en 1987 lorsque son ministère est dissous, officiellement pour des raisons économiques.

Lors de la visite de Jean-Paul II au Nicaragua, en 1983, Ernesto Cardenal est blâmé par le pape à son arrivé sur le tarmac de l’Aéroport. Il sera par la suite suspendu a divinis par le Vatican, qui lui interdit de célébrer la messe et d’administrer les sacrements.

La rupture avec Daniel Ortega (chef de l’État de 1984-1990, et de 2007 à aujourd’hui) viendra après la défaite électorale des sandinistes, en 1990, et la razzia des « notables » du FSLN sur les biens de l’Etat qui s’ensuivit. Ernesto Cardenal quitte le FSLN en 1994.

Depuis le retour d’Ortega au pouvoir, en 2007, il n’a pas caché ses critiques. Il a écrit trois volumes de Mémoires (Vie perdue, Les Iles étranges et La Révolution perdue), dont la traduction française est parue chez L’Harmattan. Ces récits complètent les recueils de psaumes, épigrammes et oraisons traduits en France chez les éditions Le Cerf, La Différence et Le Temps des cerises.

En février 2019, alors qu’il était hospitalisé à 94 ans pour une grave infection rénale, le pape François a enfin levé la suspension dont il faisait l’objet.

A l’annonce de sa mort, le gouvernement Ortega-Murillo a décrété trois jours de deuil. Hypocrisie et cynisme, alors que le couple présidentiel l’a persécuté durant des années, et même porté plainte, en réclamant des dommages/intérêts pour environ 100 000 $. Ultime infamie du régime Ortega : des proches d’Ortega et membres du FSLN, ont violemment perturbé les obsèques d’Ernesto Cardenal, qu’ils ont traité de « traître ».  Ces attaques, venant de ceux qui ont trahi les idéaux pour lesquels Ernesto Cardenal a toujours combattu, ne retireront rien à l’image du poète insurgé, combattant inlassable de toutes les dictatures, celle de Somoza comme celle d’Ortega. Un homme entier, à prendre dans toutes ses dimensions, celles du poète, du religieux, du politique, du combattant, y compris par la lutte armée quand cela fut nécessaire. Né aisé, il mourra pauvre…

Hasta siempre, compañero Ernesto !

JC, le 25/3/20.

Source : Comité de solidarité avec le peuple du Nicaragua (CSPN)

(1) La théologie de la libération est un courant de pensée théologique chrétienne inspiré du marxisme issu d’Allemagne et importé en Amérique latine, suivi d’un mouvement socio-politique, visant à rendre dignité et espoir aux pauvres et aux exclus… Mais c’est bien – durant les années 60 – sur le continent latino américain que ce développe cette pensée : provoquer l’engagement au côté des pauvres. Le Vatican a réagi contre ses dérives marxistes, mais insiste aujourd’hui sur ses aspects positifs… Belle hypocrisie alors que tous les cardinaux sur ce continent sont proches ou membres de l’Opus Deï. (Obédience créé par le prêtre personnel de F. Franco en Espagne).

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