Cet article est paru dans la revue mensuelle Pour l’Émancipation Sociale, n° 66 – Septembre 20.
Officiellement, le Plan de relance, d’un montant de 100 milliards d’euros, présenté comme historique ce 3 septembre par Jean Castex, afin de redresser l’économie et bâtir la « France de demain », s’inscrit dans la continuité des mesures de soutien aux entreprises et – pour beaucoup moins – aux salarié-es, depuis le début de la crise sanitaire en mars dernier.
Toujours officiellement, ce plan vise à « transformer l’économie » et à créer de nouveaux emplois. Son montant est fractionné en trois parties : la compétitivité, la cohésion, l’écologie.
Le plan est baptisé France Relance (1). Les plans (ou planifications), jadis, étaient dirigés par un Commissaire au Plan ; aujourd’hui, François Bayrou est nommé, Haut Commissaire au plan. Prié par Edouard Philippe, de prendre la porte du ministère de la Justice en 2017, suite à sa mise en examen pour détournement de fonds publics (suite à laquelle il a porté plainte pour diffamation publique), Bayrou entre par la fenêtre, invité par Macron et Castex, en prenant du grade (pathétique !).
Reste que les heureux gagnants de l’argent public sont au patronat. Les perdants sont, comme habituellement, les classes populaires, les organisations syndicales et écologiques. Cette politique n’a donc rien d’anecdotique quant aux bénéficiaires, comme nous le vérifierons dans cet article.
« Un cadeau à la France »
Sur ces cent milliards d’euros, dont 40 proviennent des 470 « fameux » Mds (en cours d’attribution) de l’UE (2), 35 Mds doivent permettre de renforcer la compétitivité des entreprises made in France. 35 autres bénéficieront à la cohésion sociale et territoriale. Enfin la transition écologique en obtiendra 30 Mds.
Pour le dernier premier ministre en place, Jean Castex : « Le plan France Relance n’est pas un cadeau fait aux entreprises, c’est un cadeau fait à la France pour lutter contre le chômage. » Or, c’est bien le budget des entreprises qui, sur deux années, pourra compter sur ces 35 Mds d’investissement à la compétitivité. Le but, relancer « la machine » productive, sauvegarder l’emploi, voire même en créer 160 000. Un déséquilibre bien insurmontable face à la destruction de près d’un million de contrats de travail d’ici janvier 21. Mais, comme le fleuve se jette à la mer, l’argent va chez les détenteurs de capitaux ; une fois encore, l’État exonère les grandes entreprises et leurs actionnaires.
Sur ces 35 Mds, 20 devront compenser les « impôts de production » (en fait, les impôts et « charges » sociales). Onze Mds, pour fortifier le Programme d’investissement d’avenir (PIA) (3), puis trois milliards en fonds propres pour recharger leur trésorerie, et un dernier pour l’investissement industriel.
Une politique archaïque
Le gouvernement aurait très bien pu tout simplement annoncer le budget de l’État pour 2021, en l’occurrence les volets « investissement et réformes économiques ». Que nenni, ce nouveau chef du gouvernement se doit de proposer un projet fantastique, sidérant même, et c’est ce qu’il annonce à grand renfort médiatique. En jetant un œil sur le site gouvernemental dédié à la France relance, que lit-on, pour la Cohésion (sociale) :
- Le Ségur de la Santé (déjà vu, avec les déceptions des soignant-es largement reconnues)
- Les jeunes : défiscalisation et aides aux entreprises pour l’embauche d’apprentis, de moins de 26 ans, d’handicapés, pour 6,6 Mds/€
- Soutien aux personnes précaires (de l’allocation rentrée scolaire, au Plan pour le logement d’abord – déjà vu aussi), (quant à d’autres types de précarité, circulez, y a plus rien). Le tout pour un montant de 800 millions d’euros, soit 0,8 % des 100 Mds (sic)
- La sauvegarde de l’emploi : formation professionnelle 7,6 Mds/€ (qui vont nourrir les actionnaires privés de la formation)
- Territoires : l’inclusion numérique et la poursuite du Plan France haut débit , suite de la mise en place de la fibre optique.
Bref, rien de nouveaux sous le soleil capitaliste.
Toujours sur le site gouv.fr La transition écologique. Là encore, rien de nouveau sous le réchauffement climatique :
- Rénovation thermique des bâtiments (depuis le temps « qu’ils » en causent…)
- Aide à la décarbonation de l’industrie (que des promesses)
- Densification et renouvellement urbain : recyclage des friches urbaines et industrielles en vu d’une revitalisation des centre-villes et de relocalisation des activités. 300 millions/€. (Un tout petit montant pour un grand projet)
- Prime à la conversion pour l’achat d’un véhicule « propre » (la voiture électrique n’a rien d’écologique et donc de propre)
- Transformation du secteur agricole. (Mais rien dans le cadre de la PAC (politique agricole commune) libérée des « contraintes » chimiques de synthèse)
- Technologies vertes : investissement pour l’hydrogène (pas très écolo non plus)
- Infrastructure et mobilités vertes : pistes cyclables et soutien à la SNCF, pour que les trains ne soient plus en retard (re-sic).
De toute évidence, nous ne parlons pas de la même écologie qui incarne l’intérêt des individus et de la nature, et non une « écologie » productiviste !
Les premières constatations
Le plan ne prévoit pas de contraintes pour les entreprises, que ce soit suite aux exonérations fiscales, à l’embauche dans le cadre de la « cohésion », ni dans celui de l’investissement ; pas d’obligation d’embauche ! Pourquoi un patron embaucherait-il en supplément d’un apprenti, ou d’une handicapée, où il est déchargé des cotisations sociales patronales ?! Et ne le serait plus pour une embauche « classique ».
Par ailleurs, 3 Mds/€ (donc 3%) est bien trop insuffisant pour soutenir les PME/PMI. Elles sont pourtant les plus gros pourvoyeurs d’emplois. Mais ni elles, ni les grandes entreprises ne prendront du personnel supplémentaire. Les grandes enseignes de la consommation et de l’industrie robotisent à tout va, et/ou délocalisent, pourtant aucune contrainte n’est prévue non plus par ce biais !
Quel est donc l’intérêt d’octroyer des fortunes à Air France ou à la SNCF, les gens ne voyageront pas davantage, alors que celles-ci prévoient mêmes des licenciements… Ajoutons que les grosses fortunes, privés ou d’entreprises ont pour beaucoup vu leurs actions grimper copieusement (4).
Constat malheureux encore, que ce soit pour le volet de la Cohésion, ou de la Transition écologique, ces « nouvelles » dispositions sont en fait bien anciennes, exemple : le Ségur de la santé, le logement, la décarbonation, la rénovation thermique, etc.
Idem pour l’accompagnement par la formation et les primes à l’embauche qui représentent quand même la moitié de cette « cohésion ». Mais ce sont là autant de mesures déjà utilisées et budgétées, sans que leur efficacité n’ait jamais été vérifiée de manière convaincante.
Idem toujours sur l’investissement, les milliards d’euros donnés (dernier exemple, le CICE), dont les plus gros montants vont aux actionnaires, ne produisent ni emploi, ni respect de l’environnement, ni retour sur investissement. De facto, c’est du fric perdu pour les caisses de l’État et une rallonge fort chère de la dette publique.
Selon l’esprit du plan, le gouvernement compte sur la reprise de l’activité et donc de l’embauche, conséquentes d’un accroissement de la consommation. Or, ce n’est que pure spéculation, avec le confinement de l’hiver/printemps dernier, les ménages ont épargné par la force des choses. La constitution de cette « épargne forcée », que la Banque de France évalue à 85 Mds/€, ne garantit en rien une reprise spontanée d’une consommation de rattrapage. D’autant qu’avec l’incertitude toujours d’actualité du risque d’être contaminé par le Covid, le consumérisme continue de battre de l’aile. Et si on ajoute l’annonce d’une seconde vague épidémique, la consommation restera d’autant plus en berne.
Politique politicienne de relance
Une étude menée aux Etats-Unis à partir de micro-données d’entreprises, croisées avec les statistiques locales, ferait apparaître des résultats significatifs sur les comportements de consommation, qui ne diffèreraient pas selon les mesures locales en matière de confinement. Confirmant une autre constatation, à savoir que les comportements de distanciation étaient apparus avant même la mise en place des mesures officielles de confinement.
Pour exemple de cet impact et, plus particulièrement, les ménages aux revenus les plus élevés (le premier quartile) ont réduit leurs dépenses de 17 %, contre 4 % pour les ménages à faibles revenus du dernier quartile.
Il est vraisemblable que cette ventilation soit la même en France ; traduction : le plan table sur la reprise de la consommation des riches, ceux qui ont le plus épargné et qui sont aussi ceux que la crise a le plus épargnés.
Parallèlement, si la TVA est une manne pour l’État, elle n’évite pas la contradiction : consommation équivaut à importation, et donc favorise les investisseurs étrangers.
Cette contradiction met en lumière l’écart entre la réalité et la fiction d’une reprise de l’activité à court terme et la constitution d’une relocalisation et d’une réindustrialisation qui ont surtout besoin d’être planifiées à moyen et long termes.
Mais quel est l’objectif principal de ce plan, de poser des jalons pour la France de demain, comme prétendu par Castex, ou de réaffirmer subliminalement que le jour d’après n’est que la continuité du jour d’avant ? En effet, la société n’est pas frappée par une récession « classique » (choc pétrolier, crise financière…) face à laquelle elle doit se ressaisir par une politique ad-hoc, vu qu’il s’agit d’une situation inédite en terme de « blocage de la production », d’un arrêt simultané de l’offre et de la demande, comme le souligne l’économiste Robert Boyer dans les annexes de son prochain livre (Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, La Découverte). Dès lors, la vision sur la relance par l’offre ou la demande passe à côté du problème, qui est celui de la relance du circuit économique dans le cadre de la concurrence mondiale.
Rappelons que la crise sanitaire a frappé inégalement les secteurs, les catégories sociales et les régions de l’économie mondiale, de telle sorte que la reprise ne peut être qu’inégale et désynchronisée. Ce que ce plan de relance ne retient pas. On divague dans le brouillard.
Autre aspect du mauvais calcul de la reprise : parier sur la fin de « l’épargne forcée ». Lorsque est évoqué avec quasi certitude que le pays perdra au bas mot 800 000 emplois, qu’il y aura une augmentation des faillites et la multiplication des accords de performance collective qui peuvent provoquer des baisses de revenus, et ainsi de suite… faudra pas s’étonner de l’insistance à perdurer de l’épargne.
Sur l’investissement
Au sein des entreprises, le choc sanitaire est à l’inverse d’une homogénéité, selon Olivier Passet, le dirlo de recherche au Xerfi (des études économiques et sectorielles) : « les entreprises ont fait bien mieux que sauvegarder leur liquidité, elles ont engrangé des réserves pour la suite ».
Mais à l’inverse, de nombreuses PME/PMI sont exposées au risque de faillite, alors que le plan ne prévoit que 3 Mds/€ pour le soutien de leurs fonds propres. Même si elles ont pu passer le cap, notamment grâce aux PGE (prêts garantis par l’Etat), pour une somme cumulée de 116 Mds fin juillet. Pour la Banque de France : « les entreprises ayant accumulé de la trésorerie ne sont pas nécessairement celles qui ont le plus recouru à l’endettement durant cette période » ; les prêts garantis devront être remboursés au printemps prochain.
Par ailleurs, rien ne garantit que la baisse des impôts de société et des cotisations sociales suffiront à stimuler l’investissement. Cela nécessite des perspectives de débouchés amplement incitatives, et que la priorité ne soit pas donnée au désendettement ou aux actionnaires.
De plus, dans le cadre de la relocalisation de l’industrie (santé, agroalimentaire, électronique, télécommunications, intrants essentiels pour l’industrie : métaux et alliages, matières premières industrielles, produits intermédiaires, produits chimiques, etc.), les montants alloués vont chez les investisseurs (la finance) et les industries extractives. Encore une contradiction énorme : primo, la Finance se porte très bien. Secundo, ces industries – qui sont en bonne santé – innovent a contrario d’une orientation écologique tant vantée.
Enfin, ce sont les régions en pôle position en terme d’emploi et de richesse qui bénéficient davantage du plan (la région Auvergne-Rhône-Alpes et la région Ile de France).
Entre les perdants et une confiance impossible
Tout d’abord, les travailleurs indépendants ne peuvent plus faire valoir des aides de l’Etat depuis juillet dernier (chômage partiel, etc.), même avec une timide reprise, ils et elles seront nombreux-ses à mettre la clef sous la porte.
Viennent ensuite les collectivités locales, qui risquent de ne pas percevoir, durant deux ans, la compensation de l’État provenant de l’impôt de société. Le gouvernement entend bien compenser cette perte sèche par une fraction de la TVA, mais de combien ? Et quand ? Pour qui ?
Enfin, tout le monde a remarqué que seulement 800 millions d’euros étaient prévus en faveur des plus démunis. Alors qu’il aurait été politiquement astucieux et humainement opportun de donner un coup de pouce conséquent au SMIC – déjà rien qu’en hommage aux travailleurs « essentiels » – ainsi qu’aux minima sociaux. Pour l’Observatoire des inégalités, avec 7 Mds/€, la France éradiquait la grande pauvreté ! Ou encore, pourrait élargir le RSA aux jeunes de moins de 25 ans.
Ainsi, ce gouvernement, au-delà des rhétoriques patriotiques et de l’affirmation de « ne laisser personne au bord du chemin », se comporte comme avant le Covid : tout pour les possédants, rien (ou si peu) pour tous les autres. Même symboliquement, l’ISF aurait permis de redonner un peu de confiance, au contraire, ce régime s’évertue à poursuivre le creusement des inégalités dans une crise qui se poursuit…
Le Canard enchaîné du 26 août évoque la conception qu’a le gouvernement de ce qu’est un emploi utile. Au ministre Blanquer qui demandait à Bercy l’embauche de 3 000 enseignants, Macron & Castex auraient précisé : « C’est le genre de créations d’emplois qui vont aggraver le déficit et qui ne servent pas à redresser le pays. » Avéré ou non, le refus catégorique de relancer l’emploi public est clair : les leçons de la crise sont déjà enterrées !
Pour bénéficier des 40 Mds/€ de l’UE, l’État doit respecter deux conditions : si la première n’est pas insurmontable (il faut 30 % de « verdissement » de l’économie), il en est tout autre pour la seconde puisque les plans nationaux devront toujours être assortis des non-fameuses « réformes structurelles » : à l’ombre du Covid, notamment, la dégradation des retraites (toujours à l’ordre du jour). De plus, les « partenaires » européens accepteront-ils facilement de cofinancer les efforts de compétitivité de leurs concurrents ?
Le gouvernement, comme déjà précisé, n’appréhende pas cette récession comme celles plus habituelles ; dans ce prolongement, il ne tient pas compte du fait que l’emploi n’a pas été frappé de manière homogène et qu’il a donc subi des distorsions durables. Cela signifie que la question ne sera pas seulement le volume d’emplois total, mais aussi les relocalisations sectorielles nécessaires. Aussi, comment peut-il créer une réelle transition énergétique nécessitant une restructuration de la production et de l’emploi, si la formation professionnelle ne prévoit pas une relocalisation (ou création) industrielle ad-hoc ? Ce qui est pourtant indispensable pour transformer solidement l’économie.
Aussi, la confiance restera en berne pour les travailleureuses, les collectivités, l’ensemble des PME/PMI, les écologistes…
Un plan de relance puissant
Macron affirmait en mars dernier : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » C’est bien beau, sauf que France Relance est taillé pour suivre l’économie de marché tel que nous le connaissons, et certainement pas pour le faire évoluer vers une économie plus distributive et plus verte. Or, pour consommer et relancer le marché, on devrait :
- augmenter les salaires et la protection sociale ;
- réduire le temps de travail ;
- investir et amplifier socialement l’économie verte ;
- construire des logements et réoccuper les deux millions qui sont vides ;
- créer de nouveaux postes dans la fonction publique et redynamiser les services publics dits de proximité ;
Plutôt qu’emprunter aux investisseurs et accroître la dette, instituer un emprunt d’État, l’épargne populaire pourrait alors servir à participer à la relance, qui du coup serait populaire. Les travailleureuses, les PME/PMI reprendraient confiance, seuls les financiers et les multinationales verraient leurs profits se restreindre.
Ce qui est est catégoriquement impensable pour ce régime à la botte des investisseurs et de la BCE.
Une seule solution donc, la révolution !!
Jano Celle, le 21/9/20
Source : notamment Rapport de force.fr – A l’encontre.org
(1) La crise de la planification française fut telle lors du projet du 11° plan en 1992, en vu de sa refondation, qu’il sera finalement abandonné… Faut dire qu’entre la coupe à blanc au fil des ans de « l’État providence », la privatisation des « bijoux de famille » de l’industrie nationale, sous les auspices du néolibéralisme, la planification de l’économie s’en trouvait caduque. Le terme planification, historiquement, renvoie à des politiques industrielles et économiques, d’un dirigisme de l’État capitaliste, ce qui ne peut convenir à des Etats à la botte des transnationales et de la finance.
(2) Les 750 Mds/€ du Plan de relance, empruntés par l’Union européenne et partagés entre ses membres, devront être remboursés par les États au prorata de leur richesse respective, ou par de nouveaux impôts européens. La France sera alors amenée à emprunter davantage que des 40 Mds reçus.
(3) Le Programme d’investissement d’avenir, doté de 57 Mds/€, piloté par le SGPI (Secrétariat général pour l’investissement), est mis en place par l’État pour financer des investissements innovants et prometteurs sur le territoire, afin de permettre à la France d’augmenter son potentiel de croissance et d’emplois.
(4) https://reporterre.net/Les-riches-actionnaires-ont-bien-profite-de-la-pandemie-de-Covid-19
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