Mise en danger des soignant.es et des travailleur.euses du social : l’enquête choc de la CGT

Mise en danger des soignant.es et des travailleur.euses du social : l’enquête choc de la CGT

Cet article est paru originellement dans la revue « Progressistes »

par Cément Chabanne

La fédération CGT Santé et Action Sociale a mobilisé ses syndicats pour centraliser dans cette enquête publiée le 4 mai la réalité du travail des soignants pendant cette période d’épidémie. 356 syndicats représentants 550 000 travailleurs et travailleuses dans 80 départements ont répondu à l’enquête, qui a eu lieu en plusieurs vagues. Pour la première vague de syndicats ayant répondu, 166 représentent le secteur public, et 86 le secteur privé. Les questions posées aux syndicats concernaient le matériel de protection, le matériel médical, les droits des salariés, le rôle des CHSCT et les relations avec la direction, et le nombre de personnes et de collègues atteints.

Une pénurie de protections et de matériel largement constatée sur le terrain

La quasi-totalité (83%) des salarié.es recensé.es dans l’enquête ont déclaré avoir fait face à des manques de protections individuelles, un chiffre qui augmente dans la deuxième vague de l’enquête, conduite le 16 avril. Les hôpitaux de première ligne dans lesquels ont été mises en place des unités « Covid + » n’ont pas renforcé leur stock. Dans 58% des cas, tous les personnels en contact avec le virus n’avaient pas un masque FFP2. La CGT remet en cause la gestion régionalisée des stocks, qui a donné lieu à de fortes inégalités en termes de gants, masques et surblouses entre les hôpitaux.

De la même façon, le matériel médical a manqué. 20 % des petites structures et 30 % des grandes ont souffert de manque de matériel médical, et beaucoup plus dans les régions particulièrement touchées par le virus, comme le Grand-Est ou les Hauts-de-France. La CGT remet en cause, à raison, l’incapacité de la France à produire elle-même une partie de ce matériel quand la production a été ralentie ailleurs, notamment en Chine. L’absence totale de stratégie industrielle au service des besoins des populations est pointée du doigt, au travers des exemples bien connus des usines de masques récemment fermées, ou du refus de nationaliser Luxfer (lire à ce propos à notre article sur le sujet ici).

Ce qui est en cause ici, c’est le pouvoir du capital sur l’organisation de la production. La preuve est faite que la domination de la rentabilité du capital est incompatible avec une politique industrielle adaptée aux besoins des populations. Il s’agît donc de contester le pouvoir et la propriété des moyens de production aux capitalistes et de conquérir de nouveaux droits pour les salarié.es. Le premier de ces droits, qui fait encore défaut aujourd’hui, alors qu’il paraît si élémentaire, est le droit à l’information : plus de 20 % des syndicats ont répondu qu’ils ne savaient pas si le matériel avait était au bord de la rupture de stock, car la direction refusait de communiquer sur ce sujet sensible !

Des remises en cause des droits conquis par les salarié.es

La crise a été l’occasion de remettre en cause les droits et pouvoirs conquis jusqu’ici par les salariés, alors que tout appelle au contraire à les renforcer ! Dès le début du mois d’avril, 45 % des syndicats des structures de plus de 1 500 salarié.es dénonçaient des attaques contre ces droits. Ce chiffre n’a cessé d’augmenter depuis, jusqu’à 77 % au moment de la publication de l’enquête.

En cause : des changements de planning systématiques avec remise en cause du temps de travail, les dérogations sur les horaires, les jours de congés imposés, le sous-effectif, le manque de protection, l’affectation des personnels dans des services qu’ils ne connaissent pas, le refus de comptabiliser les heures supplémentaires, le non-respect des temps de repos. Certains EHPAD sont allés jusqu’à demander au personnel de se confiner avec les patients jusqu’à la fin de l’épidémie !

Dans les petits établissement, les CHSCT ont été les grands oubliés de la crise. Dans 58 % des cas aucun n’a été convoqué. Et il remonte de cette enquête que 25 % des établissements de plus de 1 500 personnels n’ont pas organisé non plus ce CHSCT dédié à l’épidémie. Les directions ont globalement préféré des réunions d’informations, dans lesquelles les salariés ne pouvaient pas s’exprimer, et qui ne donnent lieu à aucun procès-verbal ni à aucune décision officielle.

Une mise en danger criminelle des salariés

Manque de matériel et attaque contre les droits des salarié.es ont évidemment amené au pire. C’était tout à fait prévisible, et donc ces politiques des différentes directions ont une dimension de mise en danger des salarié.es avec préméditation. Dans les petits établissements, les salariés contaminés n’ont que très peu été suivis par la médecine du travail, notamment dans le secteur privé et pour les salarié.es du social. Dans les grands établissements, les salariés contaminés ont même été largement maintenus en service ! 25 % des grands hôpitaux publics ont fait remonter à la CGT des cas de personnels contaminés continuant à travailler. D’une façon générale, les syndicats n’ont pas été très informés par la direction de l’état de santé des salarié.es qu’ils représentent, et ont dû faire eux-mêmes ce travail de recension. La CGT dénonce une omerta pour cacher un scandale sanitaire.

La CGT dénonce une défaillance généralisée des services de médecine au travail, par manque de moyens, qui amène à laisser à l’abandon plus de la moitié des personnels fragiles. Sur la question du dépistage notamment, 67 % des syndicats de grands établissement et 83 % dans les petites structures ont relevé des difficultés à se faire dépister jusqu’à mi-avril, la situation a commencé à se débloquer dans certains endroits à partir de ce moment là, comme le révèle la vague suivante de l’enquête. La CGT dénonce un mensonge d’État sur la situation des EHPAD, en réalité largement laissés à l’abandon en matières de protections et de tests.

La CGT estime dans son enquête qu’elle sous-estime elle-même grandement le nombre de personnels touchés par le virus, alors qu’elle a recensé presque 12 000 contaminations de soignant.es. Cela correspond à un niveau de contamination des soignant.es onze fois plus élevé que la moyenne de la population. Le ministère se refuse toujours à donner des chiffres nationaux, même si certains documents émanant de Santé Publique France ont évoqué plus de 39 000 cas de soignants atteints (« Point épidémiologique hebdomadaire du 7 mai »).

L’exigence d’une lutte de grande ampleur pour reconstruire un service public de la santé

La situation des hôpitaux choque largement la population, mais il y a un fossé entre le constat de la situation et l’entrée de chacune et chacun dans la mobilisation. C’est ce fossé qu’il s’agit d’amener le plus grand nombre à franchir, tant la situation des services sociaux et de santé devient critique. Cette enquête, cette réalité subie par les personnels doit évidemment être la base de l’organisation de la riposte, mais personne ne pourra espérer laisser les soignants gagner la lutte seuls. Un service public de santé efficace, accessible à toutes et tous et où tous les personnels soient respectés doit être une revendication de l’ensemble du mouvement social, et il implique des changements, non seulement dans les moyens alloués à l’hôpital public (par une hausse et une modulation des cotisations sociales), mais aussi la remise en cause de la domination du capital sur des secteurs médicaux et sociaux comme les EHPAD ou les cliniques privées. La conquête d’un grand service public de la santé devra également passer par une remise en cause de la domination du capital sur l’industrie pharmaceutique et du matériel médical (lire à ce propos à notre article sur le sujet ici).

Pour télécharger l’intégralité de l’enquête cliquez ici.

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